Samedi 23 décembre, milieu de matinée.
Anthony était un roublard ! A quatorze ans, il avait déjà une idée très nette des subterfuges et des compromissions auxquelles il était prêt à se livrer pour atteindre ses buts. Et même si la vente des calendriers scouts 2017 était une ressource majeure pour sa patrouille du 7ème groupe de Liberty Town, ce n'était pas là l'exploit qu'il visait. Non, ce qu'il cherchait à atteindre, pour redorer son blason mis à mal ces trois dernières années, c'était de battre le chiffre des ventes du 11ème groupe quand au volume de cookies écoulés pour l'année. Et ses informations, conquises de âpre lutte, lui permettaient de savoir qu'un bon coup de collier les deux dernières semaines avant le nouvel an, alors que l'équipe adverse était décimée par une épidémie de mauvaise grippe, pourrait non seulement lui permettre de les vaincre, mais aussi de prendre la première place au palmarès annuel et d'empocher la récompense, une visite d'une semaine pour toute l'équipe au National Scouting Museum d'Irving, TX !
De plus, l'ado était assez futé pour savoir se dégotter une arme secrète, et assez finaud pour savoir comment l'utiliser. L'un de ses patrouillards, Roberto, était un orphelin de chez les nonnes, qui l'avait entrainé, il y a peu, à une messe pour lui montrer un gosse des plus remarquables : une bouille d'ange, une voix à tomber par terre, et une naïveté dont il serait presque criminel de ne pas user.
Il savait cependant qu'il ne pourrait quand même pas en abuser, les nonnes veillaient sur leurs brebis comme les plus hargneux des chiens de berger, il lui fallait donc user de sa carte maitresse à usage unique au moment le plus opportun !
C'est ainsi que Kyle, dûment nanti d'une casquette de louveteau, d'un foulard bicolore passé dans une bague de cuir et de chaussettes montante en grosse laine sortant de chaussures de randonnée pas vraiment à sa taille, se trouvait, béat d'admiration, sur le stand des scouts au pied de l'un des escalators géants de la plus grande galerie marchande de Liberty Town ( la plus grande du pays, lui avait assuré Roberto !).
La foule se pressant dans la galerie aurait presque eu de quoi lui faire peur, s'il n'avait pas été autant fasciné par l'architecture élégante, les volutes d'acier soutenant les étages, la transparence des vitrages géants ouvrant comme autant de trouées vers le ciel, les décorations brillantes, mouvantes, chamarrées ...
Pour couvrir le brouhaha infernal de la foule pressée, des sonos des magasins et des musiques de fête discordantes, parce que pas du tout au diapason, Anthony avait amené un petit ampli d'artiste de rue, avec micro et lecteur mp3, pour la musique des chansons simples qu'il avait fait apprendre au gamin, avec l'aide de Roberto. Il lui avait d'ailleurs fallu mettre sa fierté dans sa poche, parce que même s'il n'apprenait que maintenant les paroles de chants pourtant archi connus, ce sale gosse les chantait bien mieux que lui-même ne le ferait jamais ... mais bon, la victoire sur son ennemi ancestral de toujours de ces trois dernières années méritait bien d'avaler quelques couleuvres !
Et donc, à intervalles plus ou moins réguliers, Roberto et Kyle étaient installés sur le devant du stand, micro en mains, pour pousser la chansonnette et attirer le chaland, à qui l'on ventait ensuite les cookies et la vertu des calendriers instructifs des Boys Scout of America. Les orphelins s'en donnait à chœur-joie, Roberto ayant lui aussi un beau brin de voix et donnant à Kyle de bonnes indications, aisées à suivre, sur le tempo et le ton. Le charme naturel du petit brun faisait merveille, une fois les badauds arrêtés par la voix, il était facile de les rabattre vers le vendeur et le bagout d'Anthony faisait le reste.
Le milieu de la matinée était à peine passé, et après une heure de vente, il avait déjà fallu ravitailler le stock depuis la camionnette du père d'Anthony, garée deux étages plus bas.