Leave Together
Une magnifique opportunité s'était offerte à moi, faire une courte représentation de magie à un gala pour lever des fonds d'une campagne politique, et pas n'importe laquelle celle d'Hannibal Von Jäggerjack au mandat de Gouverneur de LibertyTown. Autant dire qu'il y aura du beau monde lors de cette soirée pas comme les autres.
L'organisateur de cet évènement m'avait demandé de venir six heures en avance, heureusement que l'émolument pour mon art était à la hauteur des nombreux dérangements qui m'attendaient par la suite. Fouille minutieuse de tous mes accessoires, de mes vêtements comme si j'allais cacher un fusil à lunette dans mes bas en nylon, et remplir une fiche sur ma personne – apparemment, cela servait aux services de sécurité. Une fois cette partie faite, je devais expliquer avec de nombreux détails quels tours je comptais réaliser ce soir, tout en indiquant la durée. Mon Dieu que cela était long, très long. Mais une fois tout ceci fait, je devais attendre dans la pièce que l'on m'avait allouée ce soir, et cette attente me paraissait durer une éternité.
Je m'ennuyais à mourir dans ma petite pièce, j'étais prête depuis deux heures. Ma coiffure était faite, mon maquillage était nickel, et ma tenue – un tailleur noir accompagné de bas en nylon avec des cuissardes, d'une chemise blanche ainsi que des gants blancs, et d'un chapeau haut de forme – était enfilée. Le miracle arrivait enfin quand quelqu'un venait frapper à ma porte. C'est à vous, m'avait-il dit, et je le suivais promptement.
J'arrivais sur scène sous les applaudissements. J'admirais la salle qui était très belle, très noble, il y avait de nombreuses tables rondes richement décorées où étaient installés des hommes en costume de gala, quant aux femmes la grande majorité était en robe de soirée. Sacré public ce soir Anya, tu n'as pas intérêt à te louper. Effectivement, il y avait plus que du beau monde. Les ballons aux couleurs du drapeau américain attiraient mon regard, c'était très chouette comme idée. Néanmoins, il fallait que j'arrête de regarder cette salle, et rentrer dans mon personnage, car j'étais engagée pour cela. « Bonsoir, Mesdames et Messieurs ! Je suis Anya Vlasta Kovrov. » Lançais-je avec prestance à cette assemblée d'individus de la haute. « Ce soir, pour vous faire patienter avant le grand discours de celle pour laquelle nous sommes ici, je vais vous faire ouvrir grands vos yeux avec mes tours. » Il n'y avait plus qu'à lancer le court show, mes minutes m'étaient précieuses puisque l'organisateur avait tout chronométré au centième près.
A peine sur scène, je descendais déjà de cette dernière pour me diriger vers l'une des tables les plus proches. « J'aurais besoin du portefeuille d'un de ces messieurs. Ne vous inquiétez pas, rien ne vous sera dérobé. » Un homme me tendait son porte-monnaie, je le montrais à la vue de tous, et dès que j'ouvrais ce dernier, des flammes apparaissaient et dansaient devant mon visage. Aussitôt, je le refermais. « Monsieur, possède un bien des plus flamboyants, je vous le rends tout de suite. » Quelques pas vers ma droite, je me tenais devant une nouvelle table. « Madame, quelle est votre carte préférée ainsi que sa couleur ? » La mondaine m'annonçait un huit de trèfle. « Un huit de trèfle, très bien. Cette carte se trouve sous votre assiette. » La femme soulevait son assiette, et trouvait justement un huit de trèfle. La salle commençait à pousser des petits bruits d'étonnement et d'acclamation. De la prestidigitation ou bien un peu de pouvoir de méta-humain ? « Vous pouvez la garder. » Disais-je avec un grand sourire. Deux autres petits tours s'enchaînaient, l'un avait permis de faire disparaître de l'eau d'un verre, et l'autre avait fait apparaître une colombe depuis mon haut de forme pour ensuite la faire revenir d'où elle venait.
Les quatre petits tours d'échauffement étaient exécutés, je pouvais passer au plus gros, et l'un de mes préférés. « Je vais avoir besoin d'un volontaire ! Levez-vos mains si vous désirez m'aider. » Ma voix était des plus charmeuses. Je choisissais un homme d'une quarantaine d'années, je lui donnais mon bras et tous les deux nous allions nous diriger vers la scène où se trouvait maintenant une grande malle rouge et or avec mon nom gravé en lettre capital. Je sortais de ma manche un foulard noir opaque, puis de l'autre un lien autobloquant.
Le final pouvait commencer. Je tendais ces deux objets à mon assistant éphémère du jour qui semblait étonner des accessoires que je lui confiais. « Votre rôle est très simple. Vous allez m'attacher les mains dans le dos, puis me bander les yeux. Une fois ceci fait, je vous demanderai de m'aider à rentrer dans la malle et vous fermerez cette dernière avec le cadenas que vous trouverez ci-dessus. » L'individu s'exécutait. « Oh ! Monsieur ne veut pas que je m'enfuis on dirait. » Une fois dans la malle, j'entendis cette dernière se refermer. A toi de jouer ma grande. « Maintenant, pouvez-vous frapper trois fois avec vigueur sur le dessus de la malle tout en disant abracadabra. » Le quadragénaire, frappait une fois, puis deux fois et enfin trois fois tout en répétant la formule magique. Soudain, la malle se dépliait en six, et elle était vide. La salle était bluffée par mon tour.
Les applaudissements retentissaient dans ce merveilleux endroit, j'en profitais, car cela était tellement bon. C'était mon moment à moi, rien qu'à moi. « N'ayez aucune crainte, je suis toujours des vôtres. » Je me retrouvais à l'opposer de la scène, mes liens étaient défaits, et mon bandage retiré. Je retournais sur scène pour m'adresser une dernière fois à cette assistance toute particulière. « Tout d'abord, on applaudit Monsieur. Merci beaucoup pour votre attention à tous et à toutes. Je vous souhaite une excellente soirée. » Mes dernières paroles dans la Tour Kaballe.
Le spectacle était terminé. Trop court à mon goût, mais ce n’était pas ma soirée après tout. Je quittais donc ce charmant public avec une dernière révérence, direction maintenant ma petite loge. Je m’asseyais dans l’unique siège de la pièce à regarder le plafond. C’est que je serais bien restée là-bas moi. Pas pour continuer mes tours, mais ne serait-ce que pour côtoyer tout ce beau monde, je ne serais peut-être plus amenée à revenir à un meeting ou un gala pour lever des fonds d’une campagne politique ! Me disais-je à moi-même.
Je décidais de braver l’interdit, et de me faire plaisir. Normalement, je devais partir une fois ma représentation terminée, mais apparemment personne ne s’occupait de moi dans le secteur. Discrètement, je quittais ma pseudo loge d’artiste pour retourner dans l’immense salle où la soirée se déroulait. En moins de trois minutes, je me retrouvais à l’ opposer de la scène, et personne ne faisait attention à moi. Je devais être arrivée au bon moment, puisque seul le pupitre était illuminé par un projecteur, tout le reste était plongé d’une semi-obscurité. Je cherchais rapidement du regard une place vide à une table. Il y en avait une, entre deux hommes. Ces messieurs n’allaient pas me refuser de m’assoir en leur compagnie. « Re-bonsoir, très chers. » Disais-je tout en m’asseyant. Maintenant, il n’y avait plus qu’à attendre le reste du déroulement de la soirée, et je ne savais pas ce qui allait se passer. J’étais impatiente.